Son premier long métrage, adapté de son premier roman, raconte l’histoire du premier grand amour de son héros, Anis. S’il a été primé au Festival de l’Alpe d’Huez, c’est aux Rencontres du Sud d’Avignon que l’on discute avec Mourad Winter.
Est-ce vous qui êtes à l’origine du projet d’adaptation de votre livre ?
Mourad Winter : Non : je ne m’étais même pas posé la question de l’adapter. Quand j’ai sorti le bouquin, au bout d’une semaine, j’ai eu 5, 6 propositions. Et puis une prod me contacte, me me dit : « Tu réalises ? » Let’s go, quoi !
Comédie romantique, drame, histoire de copains… Comment définissez-vous votre film ?
C’est vraiment personnel, je ne parle qu’en mon nom, mais j’ai beaucoup de mal avec les registres — enfin, avec les films qui restent sur un seul registre. J’aime bien mélanger les genres. On est dans une époque où tout le monde est un peu touche-à-tout. Se cantonner à la comédie, au drame, au film d’horreur, ça ne marche plus à mes yeux. J’aime bien prendre l’exemple de Succession, qui n’a rien à voir avec une série comique, mais où j’ai rigolé comme jamais. Parce que les dialogues sont marrants.
Avec ce bouquin et ce film, j’ai essayé de raconter des histoires du quotidien, mais avec des dialogues marrants, sans pour autant finir avec un nez rouge et une peau de banane au sol. Je pense qu’il y a d’autres manières de créer de la comédie que juste amener des séquences fortes de blagues et de scènes comiques. Maintenant, ça passe par les dialogues. C’est pour ça qu’on est entre la dramédie, la comédie et puis surtout la comédie romantique, l’histoire d’amour qui ne prend pas. C’est sûr que ça peut être assez dense sur 1h40…
C’est quand même comme une comédie romantique…
Oui, oui, oui, mais parce que l’histoire d’amour est quand même centrale et c’est par l’histoire d’amour que Anis règle son problème avec la mort de son meilleur ami et cette place du deuil. Quand j’écris le bouquin, j’ai envie de traiter de l’amour, mais dans sa tridimensionnalité : le couple, la famille et les amis. Parce qu’il ne faut pas se cantonner juste au couple ; généralement, il faut un petit peu des trois pour être heureux. C’est comme ça que j’ai bossé et que je l’ai adapté. Pour la première version, j’avais 180 pages. Pour un scénar qui doit en faire 100, c’est dur de rentrer dans les clous. On a réussi.

Puisqu’il s’agit de l’histoire d’un couple, il fallait que cela matche entre Laura Felpin et Hakim Jemili…
Hakim, je le connais depuis 2011. C’est vraiment un très bon pote : on a été dans le milieu du stand-up ensemble ; on a toujours bossé et fait des trucs ensemble. Je le connais, je sais que c’est un très bon compagnon ; que tout se passe assez bien. il n’est pas relou. Laura, je l’ai rencontrée juste un peu avant, six mois avant le tournage. On m’a proposé d’aller voir son spectacle. J’ai vu le personnage et son spectacle cinq fois de suite. Les cinq fois, c’était à la virgule près. J’ai vu le niveau de discipline, de justesse. Après, on a commencé à discuter et je me suis rendu compte qu’elle était dans le même délire, pareille que nous. Et ce qu’il lie aussi entre eux, c’est l’Alsace : elle est de Mulhouse je crois et lui de Sélestat. Ils ont ces atomes crochus qui font qu’il y avait un côté potes qui se retrouvaient 10-15 ans plus tard.
Ont-ils ont amené leurs vannes avec eux ?
C’est dans ma façon de bosser. J’écris mon scénario, mais après, je fais des passes avec mes comédiens pour voir comment ça marche ou pas en bouche. Avec des stand-upers comme eux qui ont constamment besoin de bosser en même temps qu’ils sont en train de créer, il y a toujours cette facilité de rendre une vanne cool, de la rendre top. Et je leur laisser un peu de liberté : sur 5-6 prises, j’en ai au moins 2-3 où c’est des impros. Je veux que mon texte soit bien exécuté, mais je leur laisse derrière la possibilité de donner ce qu’ils savent faire. Après, derrière, au montage, je ne vais pas vous mentir : une fois sur deux, je prends la leur.
Avez-vous procédé de la même manière avec Benjamin Tranié ?
L’avantage avec Benjamin, c’est que tout ce qu’il raconte, on lui pardonne ! Donc, les pires blagues, avec lui, ça passe. Du coup, oui, on a beaucoup de stock : on a gardé beaucoup de vannes de côté ; on a baissé leur nombre parce que c’était non-stop. Sur les vannes racistes, c’est mon comédien préféré. (sourires) Vraiment, il nous sort à chaque fois des pépites et moi, je suis fan de cet humour-là, donc ça marche.
Vous venez également du stand-up. Cela ne vous a-t-il pas tenté de passer devant la caméra ?
Pas du tout ! Je suis très timide, en vrai. Je suis monté deux ans à peu près sur scène. J’ai fait un peu de stand-up. C’était assez facile parce que c’est que de la blague. Là, c’est différent : je vais sur des sujets un peu plus marquants, plus touchants. C’est un peu difficile et je ne suis toujours pas à l’aise avec ça. Du coup, je préfère envoyer au casse-pipe mes comédiens (sourire) C’est plus facile. Et puis, je suis très bien où je suis. Il faut laisser la place aux gens talentueux que soi ! C’est à eux de faire le boulot.
Est-ce compliqué de réaliser quand on ne joue pas soi-même ?
Ce n’est pas compliqué de filmer, c’est une question de musique : je sens quand la vanne est bien délivrée ou pas. C’est sûr, c’est pas les mêmes formats, J’ai toujours bossé dans le stand-up, c’est-à-dire que la musique et le rythme, c’est quelque chose quand même qui fait 90% du métier d’humoriste. C’est plus important même que la vanne. Parfois, c’est les silences qui apportent les vannes. C’est hyper important pour moi. C’est pour ça que même quand je réalise, je ne vais pas dans mon coin avec mon combo : j’ai besoin d’être proche de la caméra, de voir les émotions, d’être concerné par l’histoire. C’est une question d’oreille. Et après, le montage remet un petit peu plus de rythme et de dynamique.
Votre film a été présenté au Festival de l’Alpe d’Huez, où il a décroché une Mention spéciale du Jury. L’accueil qu’il a reçu globalement correspondait-il à vos attentes ?
Je n’ai eu que du bien. On a eu une belle standing ovation à l’Alpe-d’Huez. C’est quand même vachement rassurant pour une première projection. J’ai beaucoup de recul sur ce que je fais ; j’ai toujours l’impression que c’est de la merde — c’est perso, je ne sais pas d’où ça vient ; peut-être de l’enfance, il va falloir en parler à mes parents. D’ailleurs, après l’Alpe d’huez, j’ai fait quelques petites petites modifs de montage — pas grand chose : de rythme, de champ/contrechamp… Et même au niveau de la presse, sur le bouche à oreille, je ne m’attendais pas à ça. Donc c’est cool. Pour un premier film, je suis très content. On m’a laissé un peu faire ce que je voulais donc il y avait cette responsabilité de leur rendre un peu la pareille.
Au fait, l’amour est-il surcoté pour vous ?
Justement, c’est tout l’inverse, En fait, c’est magnifique de tomber amoureux. ! C’est une des seules choses qui nous permette de tenir et de survivre. La vie est cool mais elle est dopée quand on est amoureux. C’est ce que j’aime amener à l’écran : le côté antagoniste, tout ça, je m’en branle. Ce qui m’intéresse vraiment, c’est l’amour. On ne va pas réinventer la vie, quoi. Ça peut paraître cliché, ça peut paraître tout ce qu’on veut, mais on ne réinvente rien. C’est que du réassort, ce qu’on fait. Chacun amène sa petite pierre à l’édifice, à sa façon. J’ai essayé de le faire à ma façon et j’espère que ça va plaire.
Êtes-vous déjà en préparation d’un nouveau projet ?
Alors, le prochain… Je bosse beaucoup sur la fratrie. C’est trois frères et sœurs qui, justement, vont affronter des péripéties, apprendre à devenir frères et sœurs, et le dépassement de fonction. Apprendre à se battre pour quelqu’un qui a le même sang. Et je rebosse avec les trois, pour vous dire. Ça s’est tellement bien placé sur le premier qu’on s’est dit avec Hakim, Laura et Benjamin qu’on repartait ensemble. Donc, on devrait tourner cet été.

L’Amour c’est surcoté de Mourad Winter (Fr., 1h38) avec Hakim Jemili, Laura Felpin, Benjamin Tranié, Abdulah Sissoko… En salle le 23 avril 2025.