Avec “Le Mélange des genres”, Michel Leclerc signe son meilleur film depuis “Le Nom des gens”. Où l’on suit les tourments de Paul, homme au foyer déconstruit, accusé à tort d’être un agresseur par Simone, une policière infiltrée dans un groupe de féministes cherchant à préserver sa couverture. Conversation lors des Rencontres du Sud d’Avignon.
Avez-vous conçu Le Mélange des genres comme une réaction ou une conséquence du mouvement #MeToo ?
Michel Leclerc : Non. Je n’ai pas envie de faire un film qui délivre un message ; plutôt de faire un film qui exprime un ressenti. C’est pour ça que je fais des films et que je n’écris pas d’articles : en une heure et demie, j’essaye surtout d’être dans la nuance. Je passe par un film parce qu’à travers la fiction et plusieurs personnages, on peut exprimer des sensations et des points de vue différents. Et ensuite, c’est à chacun des spectateurs de se sentir plus proche de l’un ou l’autre des personnages. Et de ce qu’ils racontent.
Mon film n’est donc pas une réaction — ça veut dire qu’il est très réactionnaire — et je crois pas qu’il le soit ; au contraire, j’ai envie qu’il ouvre vers le futur. Il pose plus des questions qu’il donne des réponses — en tout cas, ça finit sur une question : quels vont être les rapports entre les hommes et les femmes après le mouvement. #MeToo ? C’est la seule chose que le film dise, je crois.
Au passage, vous mélangez plusieurs genres de films…
Ça m’est assez naturel ; j’aime bien l’hybridation. Depuis le début, j’aime les gens qui se mélangent — au-delà d’une formule, c’est vraiment un art de vivre : je n’aime pas la pureté. Tous mes films, je crois racontent la même chose : l’histoire de gens qui se mélangent. Le titre est assez proche de ce que je pense. Alors, ça mélange les genres de cinéma : un peu de polar, un peu de comédie, un peu de film politique… Ce que j’aime, c’est le bordel. Je n’ai pas envie de bien peigner le film que je fais.
Vous vous êtes aussi “déconstruit” musicalement, puisque vous n’avez pas interprété la chanson finale. Vous avez fait appel à Vincent Delerm…
En termes de musique, mes ambitions sont très modestes ! Je n’ai pas du tout l’ambition de faire la musique de tous mes films. Il se trouve que le précédent parlait de ça. J’avais déjà travaillé avec Vincent sur un précédent film, La Vie très privée de Monsieur Sim avec Jean-Pierre Bacri. Vincent fait partie de ces hommes qui expriment une douceur, une fragilité, une sensibilité qui me parlent. Et puis j’adore sa musique : c’est un grand musicien. Donc quand j’ai réfléchi à la musique, j’ai pensé à lui, on s’est vus. C’est lui qui m’a parlé de cette chanson de Goldman que je connaissais, qui s’appelle Doux, et que je trouvais très bien correspondre au personnage de Benjamin [Lavernhe, NDR] dans le film. C’est lui qui a proposé de la chanter.

Lui avez-vous également suggéré d’être présent physiquement à l’image ?
Oui. On s’est dit en parlant ensemble : « ce serait marrant que tu fasses une apparition. » Je dois avouer d’ailleurs qu’au moment du Nom des gens, j’avais déjà demandé à Vincent s’il voulait bien jouer dedans. Pour qui l’a vu sur scène, il est très très drôle. Il est un personnage sur scène et il a toujours refusé de jouer dans un film — je crois que c’est sa première apparition.
D’ailleurs, comment procédez-vous pour mélanger vos acteurs ?
C’est toujours très amusant de réfléchir à un casting parce qu’on se demande qui on va faire jouer en face de qui — c’est le plus important : comment ça réagit en termes de chimie. Au bout d’un moment, quand on fait un casting, il y a des comédiens qu’on connaît, dont a une idée de ce qu’on veut les voir interpréter. Et ensuite, des comédiens qu’on ne connaît pas — par exemple, je ne connaissais pas du tout Léa Drucker. La composition d’un casting, c’est mettre le sel avec le poivre, c’est toujours intéressant de mélanger.
Quelle a été votre part d’investigation dans les différents milieux — police, associations féministes etc. — que présente le film ?
Pas grand-chose : je m’en fous ! Je me suis documenté un petit peu. Je trouve que c’est un peu poseur de dire : « ah, j’ai fait un an d’enquête, etc. » Le mouvement #MeToo concerne tout le monde, aussi bien vous que moi. À partir de là, tout le monde est légitime à en parler et à exprimer un ressenti. Ensuite, je suis dans une fiction ; je ne fais pas un documentaire ; je n’ai pas besoin d’être réalistement juste. C’est toute la différence entre le réalisme et la justesse. J’ai envie de faire un film juste — c’est-à-dire qu’il parle d’un endroit qui est ressenti — mais le réalisme n’a jamais été mon propos.
Il y a une séquence où je sors de mon registre : cette scène où une femme qui a tué son mari est interrogée par Simone (Léa Drucker). On me pose souvent la question si la comédie est plus difficile que le drame ; pour moi, c’est beaucoup plus facile. Quand je fais une scène comme ça assez dramatique, j’ai toujours un peu du mal à trouver le bon curseur. J’ai toujours peur d’être dans le pathos. Il fallait que cette scène soit perçue par les spectateurs comme tout ce qu’il y a de plus sérieuse : c’est ça qui établit le point de départ du film, la raison pour laquelle Simone enquête chez les Hardies. Je me suis bien pris la tête sur cette scène !
Le Mélange des genres présente davantage qu’une synchronicité avec Mikado — tous deux ont une co-scénariste en commun et sortent à une semaine d’intervalle. Au-delà, une séquence de Mikado fait écho à votre film : celle où Ramzy et Félix Moati sont le point de se battre mais renoncent, qui est un magnifique (et inhabituel) exemple de déconstruction de personnages masculins…
Ah de toute façon, on va dire qu’il y a un lien entre l’autrice et moi… assez fort (sourire) Même si les deux films n’ont pas grand-chose à voir, on a quand même probablement beaucoup de points communs sur la manière d’aborder les personnages, leur sympathie et leur antipathie ; sur le fait d’abord et avant tout de faire des films de personnages. Et de déjouer, par exemple, le personnage de Félix dans Mikado. Il peut paraître antipathique, par exemple, mais il est tout le temps sauvé par son humanité : on ressent à quel point la vie est difficile. Il se raccroche à sa famille comme à une bouée de sauvetage — sauf qu’il manque de la faire couler. On a vraiment ça en commun : travailler sur cette ligne de crête des personnages, toujours au bord de tomber dans l’antipathie..
L’écriture a-t-elle été ici plus compliquée que pour vos autres films ?
Ça a été très compliqué. D’abord, parce qu’à l’origine de l’envie d’écrire ce film, il y a énormément de discussions avec Baya Kasmi — voire de disputes sur ce sujet. En plus, on est dans le milieu du cinéma ; je suis réalisateur, elle est réalisatrice… Ça a donné lieu à des débats parfois tendus. Donc, j’avais dit à Baya : « je veux l’écrire seul. C’est un film qui doit exprimer un point de vue d’homme sur ce que je ressens ». J’ai donc écrit des premières versions seul… mais au bout d’un moment, j’ai eu besoin d’elle. Pas seulement pour qu’elle m’aide à écrire, mais aussi pour avoir une idée de son ressenti sur jusqu’où ne pas aller trop loin. Et évidemment, elle m’a toujours poussé dans le sens inverse, pour aller beaucoup plus loin que là où je pensais aller.
Ensuite, une fois que le film a été tourné, pour savoir si cette phrase-là n’était pas de trop ; si là, on ne passait pas de l’autre côté… Pas mal de phrases ont suscité des heures de débat. Comme par exemple, la dernière du film: « cette accusation m’a fait beaucoup de bien » ; on l’a changée par « Merci de m’avoir accusé » qui en soi peut être interprétable de plein de manières différentes.
Vous considérez-vous comme un homme déconstruit ?
Je ne répondrai pas totalement… Disons qu’il y a quelque chose que je voulais exprimer en faisant ce film : même pour quelqu’un de ma génération, je n’avais pas du tout comme modèle dès l’adolescence les hommes virils à la Stallone. Dès l’adolescence, j’avais l’impression d’avoir comme modèles masculins des hommes qui, s’ils n’étaient pas déconstruits, exprimaient quand même une certaine fragilité à la Michel Berger ou Alain Souchon — souvent des chanteurs. On en fait beaucoup une question de génération — l’ancienne génération n’était pas déconstruite — alors que j’ai l’impression d’avoir grandi déjà dans cette idée de remise en question de ce qu’était la virilité plutôt de la génération de mes parents, par exemple. C’est un peu ça que je voulais exprimer.
Ensuite, j’ai l’impression, oui, d’être déconstruit, mais peut-être qu’il faudra interroger les femmes autour de moi qui diraient peut-être : « mais pas du tout ! » J’’aime faire la cuisine, j’aime les fleurs, je ne sais pas si ça suffit. J’aime Vincent Delerm (rires) Voilà. Il y a une phrase de comédie que je trouve assez juste dans le fond, c’est : « homme au foyer, en fait, c’est comme femme au foyer, on s’emmerde pareil » C’est bien beau d’être déconstruit, mais il faut quand même que sa vie soit intéressante : avoir un métier intéressant, ne pas avoir l’impression de passer sa vie à la maison, à torcher les mômes. Si c’est aussi chiant pour une femme, c’est aussi chiant pour un homme.
Paul se rend compte qu’il est un peu en dépression, non pas parce qu’il est un homme et qu’il n’a pas le métier qu’il voudrait avoir mais tout simplement parce qu’il est un être humain et on a tous besoin d’avoir un métier qui nous plaît. Quelque part, on en arrive à la dernière phrase du film : cette accusation, aussi grave soit-elle, lui fait vivre autre chose — une certaine forme d’aventure — et remet un peu les choses en place à l’intérieur de son couple. Au fond, il se dit que ça va lui être utile dans sa vie, ce qu’il a vécu, y compris dans l’introspection : se demander si dans le passé, il s’est toujours bien comporté avec les femmes ; si à un moment donné il n’a pas vraiment demandé la permission… Tout ce mouvement crée cela chez beaucoup d’hommes et c’est plutôt une bonne chose.
Redoutez-vous les réactions du public ?
Pour l’instant, j’ai fait cinq, six projections avec des débats et je trouve les spectateurs très bienveillants — et je suis même un peu déçu (rires) Pour l’instant, je trouve que ça se passe extrêmement bien. Plus sérieusement j’ai l’impression d’être compris ; c’est-à-dire que les nuances du film sont comprises et évidemment, si on plaque une grille de lecture en extrayant du film un morceau, une phrase, etc., on peut lui faire dire ce qu’on veut. Mais quand on le voit dans son ensemble, j’ai l’impression que ça passe très bien. Plusieurs personnes, notamment des programmatrices, m’ont dit avant de le voir, en lisant le pitch, qu’elles avaient très, très peur. Et en le voyant, elles ont changé complètement d’avis sur l’idée qu’elles s’en faisaient. Donc je suis content…

Le Mélange des genres de Michel Leclerc (Fr, 1h43) avec Léa Drucker, Benjamin Lavernhe, Melha Bedia, Julia Piaton, Judith Chemla… En salle le 16 avril 2025.