Une mise au vert de citadins et un pèlerinage à vélo se confrontent aux épines de la réalité dans les salles cette semaine. Entre autres…
Bonjour l’asile de & avec Judith Davis
Éditrice d’ouvrages engagés installée en banlieue parisienne, Jeanne pense s’offrir une parenthèse d’oxygène en allant rendre visite à son amie Élisa, qui a depuis peu posé ses valises à la campagne. Mais le week-end mi-boulot, mi-détente va vite tourner au vinaigre quand Jeanne pointe la kyrielle de contradictions et d’incohérences que sa copine accepte au quotidien au nom d’un pseudo « mieux-vivre environnemental et d’un meilleur partage des tâches ». Quittant cet éden hypocrite, la Parisienne se réfugie dans une communauté auto-gérée voisine. D’abord circonspecte, Jeanne se laisse peu à peu gagner par l’esprit alternatif du site, d’autant que de féroces promoteurs tentent d’en prendre le contrôle et d’en expulser ses occupants par tous les moyens …

La comédienne Judith Davis se fait désirer au cinéma, mais on est prêt à le lui pardonner si ses éclipses sont volontaires d’une part ; de l’autre consécutives à la mise en chantier de ce nouveau long métrage méritant une large exposition tant il tape avec force et justesse sur les tartuferies de notre époque, d’où quelle viennent, où qu’elles se situent. Un point de vue sacrément courageux, le manichéisme à tendance hémiplégique s’étant imposé dans la satire contemporaine. Par commodité ou paresse, on tire volontiers sur les ambulances et salauds évidents (vilains capitalistes, fachos racistes…) histoire de valoriser à bon compte et sans peine le camp d’en face, logiquement paré de toutes les mérites. Aussi primaire que l’anti-communisme époque McCarthy.
Nature humaine
On sait pourtant depuis des lustres — Lilian Gish le rappelait dans La Nuit du chasseur — qu’il faut aussi se défier des faux prophètes. Et que les parangons de vertu peuvent être les plus cyniques et retors dans leur façons d’agir. Dans Bonjour l’asile, la cinéaste dézingue le mythe des bobos néo-babas épanouis : le prix de leur retour à la terre, c’est l’aggravation des inégalités dans le couple et l’accroissement de la charge mentale pour la femme. Mais avec une couche de blabla démocratico-participatif en sus pour faire bonne mesure.

Du côté des puissants promoteurs, antagonistes naturels, Judith Davis intègre un personnage de transfuge de classe assez gratiné — il n’y a pas de raison de se priver de charger leurs sempiternels complexes de socio-traitres réclamant d’être compatissant alors qu’ils sont prêts, pour obtenir leur part du gâteau, à faire subir les pires abominations à leur classe d’origine.
Qu’on ne croie pas que Judith Davis s’épargne (son propre personnage est un cliché sur pattes), ni qu’elle n’ait que tendresse aveugle pour la communauté qu’elle défend. Sévère mais juste, elle en brocarde les aspects folkloriques, les ateliers MJC, les règles de vie semi-sectaires… tout en démontrant par l’exemple qu’il s’agit du modèle de société plus sain et plus ouvert d’esprit que les autres. En somme, comme le disait Churchill à propos de la démocratie, « c’est un mauvais système, mais c’est le moins mauvais de tous les systèmes »
Au-delà de ce jeu de massacre fort réussi et joliment interprété par sa “troupe”, Judith Davis tente pas mal de choses d’un point de vue formel, donnant à sa comédie des allures d’agréable fourre-tout : des chansons ici, du dessin là… De petites touches d’imprévu sans doute héritées du plateau qui contribuent à écarter son film du “figé”, du conformisme et le confortent dans ce qu’il promeut souterrainement : la liberté. Et même si tout n’est pas réussi à 100%, qu’est-ce que c’est rafraîchissant !

Bonjour l’asile de & avec Judith Davis (Fr., 1h47) avec également Claire Dumas, Nadir Legrand, Mélanie Bestel, Maxence Tual, Simon Bakhouche… En salle le 26 février 2025.
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À bicyclette ! de & avec Mathias Mlekuz
Plutôt que de commémorer de manière compassée et sinistre l’anniversaire de la disparition tragique de son fils Youri, Mathias a décidé de refaire à l’identique le voyage à vélo qui avait conduit son rejeton des rives de l’Atlantique à celle de la mer Noire à la rencontre de son dernier amour, Marzieh. Pour cette expédition, le quinquagénaire plus tout mince est accompagné de son meilleur ami Philippe, certes filiforme mais fumeur et volontiers porté sur la bouteille. Pas vraiment préparés à avaler des milliers de kilomètres, les deux potes vont mouliner, faire les clowns (au sens propre) et se reconstruire…

De l’aveu de son réalisateur, À bicyclette ! est un documentaire dans le sens où il repose sur une base et des faits authentiques, des personnes davantage que des personnages et un enregistrement d’événements la plupart du temps spontanés — même s’ils sont suscités grâce à la trame prédéfinie par le voyage de Youri. Certes, la frontière est parfois ténue entre fiction et documentaire et il n’est pas rare que des situations puissent être facilitées par une “mise en condition” préalable — Depardon a ainsi créé des dispositifs propices à l’émergence, donc la capture d’une vérité dans Instants d’audience notamment. On se trouve ici toutefois dans une forme différente ; une sorte de journal intime augmenté, avec des bulles de fictions, de « roman vrai ». Cette nuance de terminologie ne change rien à la sincérité de l’intention : le projet d’offrir par le voyage et le film qui en découle (à moins que ce ne soit l’inverse) un cénotaphe à Youri.
Et puis Paulette ?
À chacun de trouver une manière d’effectuer sa “résilience” après un drame intime. Celle-ci s’avèrera peut-être impudique pour le commun des mortels ; elle est peut-être la plus naturelle pour des saltimbanques vivant au quotidien leurs émotions dans le masque. La frontière entre public et privée ayant gagné en porosité avec les décennies, la surprésence de l’auto-fiction dans le roman ou au cinéma (voir Rock n’roll et Lui de Guillaume Canet) mais aussi du documenteur, il n’y a rien d’absurde à concevoir qu’un projet familial puisse atteindre le grand écran.
Il s’en est fallu de peu pourtant que ce long métrage demeure dans les limbes. S’il n’avait pas décroché au Festival du film francophone d’Angoulême ses trois prix (Valois du public, de la mise en scène, de la musique), À bicyclette ! n’aurait pas trouvé son distributeur — la courroie de transmission indispensable pour mettre les films dans les salles —, Ad Vitam. Ah, et pour les curieux et/ou mélomanes, même si l’oncle d’Yves Montand, Jean-Louis Livi, est crédité comme producteur, la chanson éponyme du titre écrite par Pierre Barouh et Francis Lai ne figure pas au générique. Tant pis pour Paulette…

À bicyclette ! de & avec Mathias Mlekuz (Fr., 1h29) avec également Philippe Rebbot, Josef Mlekuz, Adriane Grządiel, Marzieh Rezaee, Laurent Jouault… En salle le 26 février 2025.