Des histoires de familles, des ventes de joueurs et des deuils dans les salles cette semaine. Entre autres…
L’Attachement de Carine Tardieu
Au moment de conduire son épouse Cécileà la maternité, Alex confie à leur voisine Sandra le petit Elliott, 5 ans, né d’une précédente union et qu’il élève comme son fils. Hélas, Cécile va succomber en donnant la vie à une petite fille, laissant Alex et Elliott effondrés. Sandra va alors devenir pour eux trois un repère maternant inattendu, y compris pour cette célibataire quinquagénaire plutôt solitaire…

Il est des films pareils à de petits miracles, touchant par leur délicatesse de chaque instant ; suscitant de surcroît une forme d’admiration parce qu’ils se coltinent des sujets d’une violence intime effroyable, digne des pire mélos. Entre casse-gueule et tire-larmes, L’Attachement tient ainsi du numéro d’équilibriste, où la justesse des sentiments et des personnages prend le pas sur toute tentative/tentation d’en faire trop. Par quel mystère Carine Tardieu est-elle parvenue à évacuer le pathos comme à déjouer les facilités de l’émollient happy end ? Toujours est-il qu’au terme de près de deux heures d’un film nous conduisant du deuil à une reconstruction difficile, aux faux-semblants de l’amour et aux illusions de l’amitié éternelle, on sort non pas d’une fiction mais d’une tranche de vie authentique, quittant à regret les personnages qui nous l’ont partagée.
La vie pour de vrai
À quoi peut-on imputer cette douceur élégante et cette capacité à nous faire éprouver de l’empathie pour Alex, Sandra, Elliott et les autres ? Au filmage, peut-être, si… humain. À hauteur d’enfant ou d’adulte ; semblable à des coups d’œil fugaces, la caméra suit ou surprend les yeux des personnages et crée des contacts visuels. Le premier attachement passe par le regard, le reste vient naturellement.
Et puis il y a ce ballet des événements et des rencontres : les liens qui se distendent et se renouent ; cette impression d’être dans la vie balloté par l’imprévu, sans que rien ne soit écrit, laissant une part aux erreurs et aux ruptures. Sans crise théâtrale ni cris brutaux : les larmes n’ont pas besoin de porte-voix pour se faire entendre ni être comprises. Quant aux mots, ils sont présents, tirés du quotidien et sans littérature, pour dire les choses. Cela semble banal mais c’est aussi exceptionnel que ces séquences montrant le père et le beau-père du petit Elliott dans une relation non conflictuelle. Où il est question de paternité sans joutes testostéronées de mâles alpha — il y en a une comparable dans le prochain Baya Kasmi, l’excellent Mikado. Coïncidence ou pas, ce regard sur une nouvelle masculinité est dans les deux cas porté par des réalisatrices…

On tresse, à raisons, des lauriers à Kore-eda ou à Kôji Fukada, peintres nippons des déchirements familiaux. Il faut désormais penser à regarder plus près de nous et intégrer Carine Tardieu dans le cénacle des cinéastes parlant du cœur sans penser au nombril. Voilà qui donne envie de se replonger dans sa filmographie, et notamment La Tête de maman ou Ôtez-moi d’un doute: il y a plus qu’une cohérence qui se dessine et se prolonge avec L’Attachement.

L’Attachement de Carine Tardieu (Fr.-Bel., 1h45) avec Valeria Bruni Tedeschi, Pio Marmaï, Vimala Pons, Raphaël Quenard, César Botti… En salle le 19 février 2025
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Mercato de Tristan Séguéla
Agent de joueurs de football, Driss se trouve au creux du creux de la vague. C’est pile le moment que choisit un ancien partenaire en affaires tout juste sorti de prison pour réclamer son dû. Peu compréhensif, il laisse à Driss une poignée de jours pour rembourser sa dette. Un compte à rebours insensé s’engage pour tenter de négocier LE transfert rémunérateur qui le sortirait de la panade. Mais si Driss ne manque ni de tchatche, ni d’audace, le sort semble s’acharner contre lui…

Pourquoi le principal sport collectif occidental attire si peu le cinéma ? On pourrait expliquer cette carence par son omniprésence sur tous les écrans et la saturation qu’il impose dans les esprits de janvier à décembre, malgré ses fausses trêves : les aficionados du ballon rond sont suffisamment servis en dramaturgie ordinaire avec les matches et l’actualité footbalistique pour ne pas éprouver le besoin d’en vivre davantage par l’intermédiaire de la fiction, voire du documentaire. Certes, des comédies au crampon pesant investissent parfois la pelouse, mais le jeu en lui-même fait rarement l’objet d’une attention spécifique. Et lorsque c’est le cas, comme dans l’inclassable Zidane, un portrait du XXIe siècle (2006) de Douglas Gordon et Philippe Parreno, le résultat a de quoi déconcerter par sa radicalité et son abstraction.
Le paradoxe du foot au cinéma réside donc dans cette difficulté à rendre captivantes les phases de jeu à l’écran, a contrario de l’incontournable boxe, où la situation des duellistes accentue la dimension épique de leur face à face. Voilà pourquoi sans doute les cinéastes voient dans les coulisses, lieux de tous les trafics, échanges, coups fourrés et enjeux, de meilleurs terrains, moins exposés de surcroît : les projecteurs étant braqués sur le rectangle de gazon comme pour faire diversion.
Enjeux plus que jeu
Mercato (ou M€rcato si l’on reprend la graphie officielle) affiche d’emblée ses ambitions : traiter du nerf de la guerre, de cette économie de la transaction reposant à la fois sur une affaire de morale douteuse — faire commerce d’êtres humains est en effet, selon les contextes, assimilable à une activité d’esclavagiste ou de Pygmalion — et une part de psychologie digne de Sun Tzu et Machiavel réunis. Ce sujet, certes intéressant, manquerait toutefois de relief s’il n’était complété par le thriller justifiant le compte à rebours rappelant celui d’un match et surtout par la mise à plat de la géo-éco-politique du football contemporain.
Tristan Séguéla pointe une sacrée dissonance cognitive : là où d’aucuns voient de la poésie, du génie dans le jeu ou la technique des footballeurs, les intermédiaires, sponsors et propriétaires entrevoient surtout la possibilité de mannes exponentielles. Et pourtant, les tifosi demeurent attachés à leur club comme à des joueurs, feignant d’ignorer que ceux-ci ne représentent que des capitaux pour des investisseurs à l’autre bout du monde. Sans être pour autant une charge vitriolée — le réalisateur comme les scénaristes étant des mordus du foot — Mercato laisse percevoir une forme de mélancolie, que les notes de Mozart viennent renforcer.
Si l’on souhaite avoir une vision complémentaire sur le sujet, mais cette fois davantage du côté des joueurs, on se reportera avec profit sur le (très bon) premier long de Camille Perton, Les Arènes, prévu en salle début mai.

Mercato de Tristan Séguéla (Fr., 1h59) avec Jamel Debbouze, Monia Chokri, Hakim Jemili, Mili Machado Graner, Niamh Moriarty… En salle le 19 février 2025.
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September & July de Ariane Labed
Adolescentes proches en âge comme leurs noms le suggère, September et July sont élevées par une mère célibataire, Sheela. Au lycée, July est souvent victime de moqueries ou de harcèlement conduisant September à la défendre… et à se faire exclure de l’établissement. Après une brimade de trop, la famille part se mettre au vert sur la côte, dans la maison grand-parentale. L’ambiance y est pesante et une hostilité sourde semble émaner de September…

C’est le triste lot des films à twist de perdre en attrait dès lors que le spectateur subodore la possibilité d’un retournement final. Voire d’être vidé de tout intérêt lorsque ledit coup de théâtre est deviné dans les premiers instants : car le public, trop soucieux de collecter des indices tangibles validant son hypothèse, se rend aveugle aux autres subtilités du récit, de l’interprétation ou de la mise en scène. On se gardera bien révéler sur quelle mystification narrative repose ici la fin, au plus indiquera-t-on qu’elle relève d’une certaine tradition qui rappellera des souvenirs aux amateurs de fantastique.
Dommage pour cette première réalisation de la comédienne Ariane Labed, qui derrière le film de genre “à chute” traite au fil de son histoire d’une foule de sujets térébrants en créant une atmosphère malaisante plutôt réussie. L’adolescence comme âge charnière, l’univers de la sororité, la promiscuité toxique ou la question du harcèlement sont traités avec assez de subtilité et un attachement notable pour la forme cinématographique pour que l’on espère de sa (future) prochaine réalisation de belles choses… tout aussi dérangeantes. À quoi bon rester dans la norme quand on peut gratter là où cela démange ?

September & July (September Says) de Ariane Labed (All.-Irl-G.-B., int. 12 ans avec avert. 1h38) avec Mia Tharia, Pascale Kann, Rakhee Thakra… En salle le 19 février 2025.
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When the Light Breaks de Rúnar Rúnarsson
Islande, de nos jours. Étudiante en art, Una vient d’entamer une relation secrète avec l’un de ses condisciples. Celui-ci prend la route et se trouve au nombre des victimes d’un terrible accident endeuillant le pays. Se rendant sur les lieux du drame, Una doit alors partager son chagrin avec ses amis mais aussi avec la petite amie officielle du défunt. Tout cela lors d’une (longue) journée…

Film-concept jouant sur les contrastes et les contraires — le deuil vécu par la jeunesse, une unité de temps de l’aube au crépuscule (augmentée par la situation ultra-septrionale et l’été islandais, qui rallonge la période diurne), la nécessité de dissimuler son affliction —, When the Light Breaks tourne malgré tout vite à vide, dans l’attente d’une hypothétique crise ou révélation. Visage marmoréen, Una intériorise ; Rúnar Rúnarsson se repose sur les beautés délivrées par les crépuscules ralentis de l’été boréal.
S’il est toutefois une chose qui parvient à transcender l’horizontalité rasante de ce drame souterrain, c’est bien un plan hypnotique sur la façade d’une cathédrale lisse et blanche, à l’austérité toute protestante. La perte de repères qu’il occasionne, en inversant les perspectives, offre un très rare moment de grâce, d’élévation et de vertigineuse verticalité. Un instant où l’image se transforme en sensation pure.

When the Light Breaks (Ljósbrot) de Rúnar Rúnarsson (Isl.-P.-B.-Cro.-Fr., 1h20) avec Elín Hall, Mikael Emil Kaaber, Katla Njaálsdóttir, Baldur Einarsson, Águst Wigum, Gunnar Kristjánsson… En salle le 19 février 2025.