Un père confronté à la dérive de son fils vers l’extrémisme se débat dans les salles. Entre autres…
Jouer avec le feu de Delphine & Muriel Coulin
L’Est de la France, de nos jours. Veuf depuis de nombreuses années, Pierre a élevé ses deux fils du mieux qu’il a pu. S’il a de quoi se réjouir des succès scolaires de son studieux cadet, Louis, l’évolution de son aîné Fus le plonge dans l’incrédulité puis l’effroi : le jeune homme s’est en effet rapproché d’une mouvance identitaire radicale. Pour ce cheminot imprégné de valeurs humanistes, ayant de surcroît jadis beaucoup milité de l’autre côté de l’échiquier, le glissement de Fus vers la haine est vécu comme un désaveu personnel. Pierre tente de raisonner son fils, de préserver son cadet, mais toutes ses tentatives semblent achopper…
Pour leur troisième long métrage de fiction, les sœurs Coulin adaptent un roman — qui n’est pas de la main Delphine — dont les thématiques rappellent beaucoup celles qu’elles ont déjà abordées dans 17 filles (2011) et Voir du pays (2016) : la situation de la jeunesse et l’importance du groupe en tant que refuge contre le monde extérieur. Sauf que le refuge se révèle ici bien fallacieux : un repli sur soi doublé d’une imprégnation idéologique xénophobe.
Et si l’on constate que le désespoir est bien mobilisateur 🔗comme l’avait prophétisé Daniel Balavoine (et pas franchement dans une direction susceptible d’inspirer l’alacrité) ; si l’on note l’efficacité des mécanismes d’emprise sur les “proies“ susceptibles de grossir les rangs des groupuscules extrémistes, Jouer avec le feu montre surtout l’incapacité des proches. Comme lesté par une inéluctable fatalité le conduisant à son issue dramatique, le film dégage un cruel pessimisme de mauvais augure : la société serait vouée à subir cette malédiction.
Prime d’ancienneté
Reste en bout de course une interrogation, à défaut d’être une énigme : le choix du jury vénitien de décerner à Vincent Lindon sa coupe Volpi pour son interprétation dans ce film. Si l’on admet ce principe compétitif — toujours étrange quand on y pense concernant des artistes — visant à comparer des “performances”, celle qu’il livre ici était-elle la plus estomaquante parmi l’ensemble des films en compétition à la Mostra ? Était-elle la plus saisissante parmi celles livrées par les autres comédiens de Jouer avec le feu ? Chacun jugera avec recul et subjectivité, évidemment, mais ne pourra pas nier que Benjamin Voisin réalise ici une prestation bluffante dans le rôle de Fus.
Avec ses faux-airs d’Alain Delon — ce mixte entre arrogance et ingénuité — le jeune comédien a su créer un personnage vénéneux d’autant plus dangereux qu’il est solaire et semble, à son degré d’embrigadement sectaire, totalement étanche à la moindre tentative de discussion. Incarnation physique du désespoir recuit des classes populaires et d’une jeune privée d’avenir, le tout cristallisé en haine de l’autre, sa silhouette tristement banale est jouée sans outrance. Il n’est pas le “méchant” de l’histoire, mais bien une autre victime. Et Voisin, en oscillant entre dissimulation, affirmation de ses idées, faux repentir, violence, incohérence, est plus étonnant qu’un Lindon globalement monochrome ou, disons, engagé dans son sillon coutumier.
On ne peut s’empêcher de voir dans cette sacralisation quasi-automatique des figures aînées (au détriment de la nouvelle génération) une réplique ou une mise en abyme de quelques-uns des facteurs créant le sentiment de déréliction que celle-ci éprouve. Cela, même si dans son (long) discours d’acceptation à la Mostra, Vincent Lindon remerciait 🔗Benjamin Voisin et Stefan Crepon — « Ils pensent, eux, que je leur ai apporté des choses, mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que je leur ai apporté moins de choses que ce qu’ils m’ont apporté, » La vérité n’est pas toujours dans les palmarès.
Jouer avec le feu de Delphine & Muriel Coulin (Fr., 1h58) avec Vincent Lindon, Benjamin Voisin, Stefan Crepon, Maëlle Poésy, Arnaud Rebotini, Béatrice Pérez, Édouard Sulpice, Sophie Guillemin…