Prix de la jeunesse au Festival de Cannes, Valois de diamant à Angoulême, Prix Jean-Vigo… Avant même sa sortie, le premier long métrage de la Jurassienne Louise Courvoisier faisait l’unanimité avec son histoire de pieds nickelés tentant de fabriquer un Comté d’exception. Rencontre.
Comment êtes-vous tombée dans le chaudron du cinéma ?
Louise Courvoisier : Un peu par hasard. J’ai grandi dans un petit village et à un moment donné, j’ai eu envie d’aller voir ailleurs. Au lycée je me suis dit : « il faut que j’aille à l’internat pour aller le plus loin possible ». J’ai choisi une option cinéma parce que c’est comme ça que je pouvais être prise à l’internat. j’avais vu trois films dans ma vie et je n’y connaissais rien du tout ! Petit à petit, j’ai pris goût à regarder des films là-bas, mais sans trop savoir ce que je voulais faire.
Après, j’ai fait beaucoup de stages et en arrivant à la CinéFabrique — cette école lyonnaise où j’ai fait partie de la première promotion — j’ai vraiment pris goût à la fabrication, à la direction d’équipes et de comédiens. C’est en faisant que j’ai eu envie de faire du cinéma plus qu’en regardant des films. Et j’ai compris que je me sentais à ma place.
En tournant votre premier long métrage 🔗Vingt dieux aussi près de chez vous, avez-vous redouté certaines choses et, a contrario, en avez-vous trouvées auxquelles vous ne vous attendiez pas ?
C’est une très bonne question qu’on ne me pose pas souvent. J’ai redouté que le mélange se fasse mal pour les gens de la région qui était très présents dans la fabrication du film et l’équipe, souvent parisienne, qui est venue s’ajouter. J’avais envie de soigner notre arrivée dans la région et que les gens se rencontrent vraiment. Que ce tournage ne soit pas violent pour les gens de la région — ça peut être parfois une grosse industrie qui arrive et qui repart. J’avais une grande responsabilité ; j’ai essayé de l’accompagner au mieux et le tournage s’est quand même très bien passé — au delà un peu de mes espérance : ça s’est vraiment bien mélangé.
Ça a apporté beaucoup aux gens qui venaient de Paris, qui ont adoré cette expérience, ce mélange. Mais aussi aux gens du coin : il y a eu comme une ouverture, une passerelle, qui s’est faite entre les mondes.
Aviez-vous effectué un travail préparatoire pour que cette osmose puisse s’accomplir ?
J’ai réfléchi à des postes-clefs qui pouvaient faire les liens. Ma sœur, par exemple, qui était cheffe-décoratrice, vient de la région et connaît bien et son équipe. Il y avait un mélange entre son assistant qui venait de paris et le reste de l’équipe : des gens du coin qui n’avaient jamais fait de cinéma mais c’étaient des constructeurs qui pouvaient s’adapter à ce milieu-là. Après, ça a été beaucoup de temps de préparation. J’étais très très présente à cette étape : je n’ai pas beaucoup délégué parce que je sentais qu’il fallait que justement j’accompagne bien. J’ai essayé de mettre le moins possible de distance entre moi et les gens.
On note un travail extrêmement complexe sur la lumière : notamment sur les visages, les corps — on a presque l’impression de toucher les peaux nues — sans négliger les plans larges sur les paysages. Comment travaillé ?
On a beaucoup travaillé avec mon chef-opérateur pour trouver déjà la bonne texture d’image, avec des vieilles optiques anamorphiques qui donnent ce grain à l’image. Et beaucoup avec de la lumière naturelle — une lumière assez brute. On a cherché l’esthétique dans le brut et pas dans le lisse, pour justement montrer que dans les aspérités, il y avait aussi quelque chose d’assez esthétique.
J’avais des influences de western dans mon envie de filmer ce paysage. Et dans mon découpage, de passer tout d’un coup de paysages à une pièce avec des personnages en plan très serré. Je n’avais pas peur de jouer des grands contrastes. La lumière et ce grain de l’image permettent aussi d’avoir un rapport plus charnel de l’image, plus sensible. On ajustement l’impression d’être très proche des peaux. Les peaux des personnages racontent aussi quelque chose parce que c’est des non professionnels : ils arrivent avec leurs physiques, qui vont avec leur vie. Mettre en avant toutes les aspérités du corps, des peaux, ça donne quelque chose de plus charnel et sensuel.
Vous parlez de lumière naturelle, mais c’est une région où il pleut beaucoup. Là, on a l’impression qu’il y a toujours du soleil…
Bon, on est tombé sur un été où il a fait très très chaud (rires) Mais ça aurait pu être la pluie et on aurait pu avoir un moyen de mettre en valeur cette pluie.
Autre gageure, le film raconte la fabrication du Comté ce qui implique que vous devez mettre en scène ce process. Comment en faire un élément narratif ?
Filmer le fromage, ça n’a jamais été trop fait. C’était très difficile de le rendre cinégénique, beau à l’image. Pendant toute la période de financement du film, c’était une vraie question : « comment allez-vous filmer du fromage ? Ça paraît un peu difficile… » Avec mon chef-opérateur, on a fait beaucoup de répétitions pour que les comédiens aient les gestes. On a aussi été en observateurs, pour essayer de voir ce qui nous intéressait pour le film : les gestes, la matière… Et comment on arrive petit à petit à hauteur de personnage dans cette fabrication : plus Totone commence à connaître les gestes, plus nous aussi on va s’intéresser à la fabrication.
Avant, on reste plus dans les situations les personnages. Mais on ne rentre jamais dans le chaudron avant la fin, quand ils vont fabriquer le fromage. Notre démarche, c’était donc d’apprendre au fur et à mesure à hauteur de personnage la fabrication petit à petit et ne rentrer dans la matière qu’à la fin, quand ça devient plus maîtrisé.
Avez-vous des références cinématographiques particulières ?
Oui mais pas tant que ça pour ce film. Je me suis plus inspirée de choses de la vie que d’autres films. Mais quand même, pour trouver le ton, Ken Loach notamment La Part des anges.Parce qu’il est très fort pour mettre des personnages qui débordent, qui dépassent. Pour mettre de l’humour dans le drame ; il n’a pas peur de passer d’un à l’autre. Ça m’intéressait de trouver un ton un peu similaire pour mon film. Et aussi, comme je le disais, j’ai des référence un peu western, américaines, dans des duels…
Vous filmez une scène d’amour où le dialogue est le moins sensuel et le moins romanesque possible. Comment fait-on pour que cela ne soit pas comique non plus ?
Je n’ai pas peur que cela devienne comique par moment. C’est important qu’on rigole avec eux et pas qu’on rigole deux. Ça ne m’intéressait par forcément de de mettre de la sensualité là où on l’attendait. Il y a plein d’endroits que je trouve sensuels dans le film mais pas dans ces scènes d’intimité. Dans la maladresse, il y a plein de choses qui peuvent se construire. On ne raconte jamais cette partie qui existe au début de l’amour, qui est un peu maladroite surtout à cet âge-là, et intéressante à montrer.
Après, en effet les dialogues, c’était important d’être proche de mon expérience : je me suis inspirée de la manière dont les gens parlent chez moi. Ils ne s’expriment pas forcément beaucoup par les mots, parfois plus par les regards. J’aime bien dans les scènes quand le corps s’exprime différemment des mots et qu’on raconte plein de contradictions, plein de contrastes, à l’intérieur même des scènes. Je travaille toujours mes dialogues en me disant : « ce qu’ils pensent et ce qu’ils disent, ce n’est pas la même chose ; comment peut-on faire sentir les deux ? » La lecture verbale et la lecture corporelle…
L’alcool est très présent dans le film…
C’est culturel. C’est pas volontaire tellement c’est évident. À la fin des projections, on me dit: « c’est parfois violent, chez vous ! ». Mais moi, j’ai l’impression d’avoir été très soft ! Des gens qui s’explosent des bouteilles sur la tête, j’en ai vus beaucoup dans mon passé de bal. Et en fait, c’est un peu pareil avec l’alcool : c’est tellement présent que ça fait partie du paysage. J’ai beaucoup connu des gens qui s’explosent en moto, en voiture… Ça a vraiment fait partie de mon parcours.
Quand j’arrive en ville et que je discute avec les gens, je me rends compte qu’ils n’ont pas du tout connu ça. Et c’est encore très présent : les gens se tuent beaucoup en voiture, en moto… Clément [Faveau, l’interprète principal NDR], après une semaine de tournage, il a fait un accident de moto à 8h du matin. Il s’est cassé le fémur, on a arrêté le tournage pendant 6 semaines… Voilà, c’est comme ça, quoi.
Avez-vous eu tout de suite votre titre, Vingt dieux ?
Il est arrivé en cours de route — au départ, le film s’appelait Totone [du nom du personnage principal, NDR]. J’ai eu besoin de changer de titre quand j’ai changé de version à un moment donné. Comme j’écrivais tout le temps “vingt dieux” dans mes dialogues, c’est venu assez vite. Surtout, j’ai découvert l’orthographe et c’est l’orthographe qui m’a donné envie d’en faire le titre. Parce que je ne savais pas que ça s’écrivait comme ça…
Vingt dieux est un récit initiatique — celle de Totone — ; il est de plus dans la quête d’une récompense : le prix du meilleur Comté. C’est votre premier long métrage, donc il y a quelque chose d’initiatique et depuis qu’il a été présenté à Cannes, c’est une pluie de récompense qui s’amoncelle dans votre escarcelle. Est-ce que vous vous attendiez à un parcours aussi radieux ?
Je ne m’attendais à rien du tout ! J’avais l’impression que tout allait se terminer à la projection de Cannes, mon cerveau n’allait pas plus loin. J’ai rarement l’ambition d’attente ou d’espérance… J’étais déjà très contente d’avoir fini le film et qu’il soit à Cannes. Donc tout ce qui vient après, c’est à chaque fois une nouvelle surprise. Je peux vraiment pas m’y attendre parce que je ne pouvais pas du tout soupçonner tout ça : je ne m’attendais même pas à ce que les gens donnent leur avis ; je ne sais pas ce qu’il s’est passé mon cerveau s’est arrêté à la fin du film, c’était fini pour moi… Je découvre, là, un peu tout. C’est sûr que c’est super de pouvoir partager avec plein de monde et qu’il soit récompensés comme ça. Je crois que j’ai beaucoup de chance.
Vingt dieux de Louise Courvoisier (Fr., 1h30) avec Clément Faveau, Maïwène Barthélemy, Luna Garre, Mathis Bernard, Dimitry Baudry… En salle le 11 décembre 2024.