Une épopée intime jurassienne se déploie sur les écrans cette semaine. Entre autres…
Le Roman de Jim de Jean-Marie & Arnaud Larrieu
Comme une malicieuse coïncidence pour signifier la fin de l’été… Alors que vient de s’engager une rentrée littéraire particulièrement précoce cette année, celle du cinéma s’effectue avec la sortie du Roman de Jim, adaptation par les frères Larrieu du roman homonyme de Pierric Bailly. Un film tout sauf tape-à-l’œil, sans excès ni crise, et cependant d’une stupéfiante empreinte. Chacun pourra le mesurer avec le temps, cette matière intangible dont les fibres tissent les contours de cette histoire et dont les effets se manifestent à l’écran jusque dans l’ultime plan — une image photographique se révélant lentement du négatif au positif. Au spectateur d’apprécier le symbole.
Jim est le personnage-titre de ce “roman”, mais il n’est pas défendu de voir en Aymeric davantage que le protagoniste, son réel héros : tout advenant grâce à lui, que l’on suit sans discontinuer du début à la fin. Embarqué à la petite vingtaine dans un casse maladroit, il se fait bêtement coincer et prend pour la bande quelques années de rate. Sorti de taule, il tombe dans une soirée sur Florence, une ancienne collègue très enceinte qui le drague ouvertement. Aymeric va s’installer avec elle en montagne et devenir à la naissance de son fils Jim un père aimant. Mais l’arrivée de Christophe, le géniteur, va chambouler l’équilibre heureux dans lequel cette famille avait commencé à s’installer. Pour le plus grand malheur d’Aymeric…
Un homme, un vrai
Les années 1980 avaient Kramer contre Kramer comme emblème de la fracture d’un couple et les dommage collatéraux en découlant sur leur enfant après la séparation. Changements d’époque et de mœurs avec Le Roman de Jim, où la cellule familiale échappe d’emblée au schéma traditionnel puisqu’ici Aymeric, figure paternelle, n’a pas conçu l’enfant. Ce sont pourtant les affects du premier qui sont au centre du récit, sa douleur quand Jim lui est ôté et va disparaître du champ du visible pour plusieurs années. L’absence physique contraste avec la surprésence à l’écran de ce père abandonné, dont chaque expression est signifiante même si ses mots sont rares. Bon pote, bon compagnon, bonne poire parfois. Homme bon, surtout.
Karim Leklou compose ainsi un personnage qu’on pourrait percevoir comme représentatif de la “nouvelle masculinité”, à mille lieues des stéréotypes de mâles brutaux s’abandonnant à des représailles critiques. Sans doute plus introverti, Aymeric subit la plupart des événements mais ne refuse pas de formuler son mal-être. Ses attributs héroïques sont alors ceux de l’individu lambda, menant des luttes quotidiennes et construisant sa résilience de tous les jours. Le contraste est d’autant plus marquant avec Florence, que campe Laetitia Dosch : son attitude est-elle inconséquente, égoïste, protectrice, voire un mixte des trois ? Il n’y a qu’Aymeric pour ne pas voir la lente désagrégation de son attachement pour lui lorsque surgit Christophe. Pour cruelle qu’elle soit, cette phase du désamour est rendue avec autant de justesse que de pudeur par les Larrieu ; elle trouve de plus sa symétrique lorsque Aymeric renoue avec la sérénité en partageant l’existence d’Olivia. Exemplaire, aux antipodes de Florence.
Si les cinéastes ont trouvé dans le cadre jurassien de Bailly des similitudes avec leurs Pyrénées natales, ils ont également su apprivoiser la géographie et la lumière de Saint-Claude, dont l’encaissement était susceptible de contrarier l’éventuelle cinégénie. Vite débarrassé des contraintes des villes — Lyon est par bribes également convoqué —, Le Roman de Jim se déploie dans cette nature qui, comme souvent chez les Larrieu, offre de verdoyantes nouvelles perspectives à ses protagonistes. Mélo paradoxal à l’issue optimiste, ce diable de film travaille joliment l’âme en longueur. Pour une fois que l’on a l’impression que ses personnages existent et sont vivants !
Le Roman de Jim de Jean-Marie & Arnaud Larrieu (Fr., 1h41) avec Karim Leklou, Laetitia Dosch, Noée Abita, Sara Giraudeau, Bertrand Belin… En salle le 14 août 2024.