Réalisateur, scénariste et de plus en plus comédien, Bruno Podalydès livre avec La Petite Vadrouille une délicieuse comédie sur la valeur de l’amour et de l’amitié au fil d’une croisière-arnaque montée par une équipe de bras cassés fauchés. Il en parle à l’occasion des Rencontres du cinéma de Gérardmer.
Comment en êtes-vous arrivé à ce titre, La Petite Vadrouille ?
Bruno Podalydès : Parce que ça me semblait être une petite vadrouille (sourire) ! Je voulais l’appelerLa Pénichette au début, un truc comme ça… Et puis en blaguant, une fois, pour parler de La Grande Vadrouille, qui est un film que j’admire, que j’aime énormément, j’ai dit : « tiens, le pendant rigolo, c’est La Petite Vadrouille». C’est vraiment un clin d’œil ; pas du tout pour me réclamer du même niveau.
Vos films précédents trahissent un amour certain pur la navigation : le canoë, le voilier et ici la pénichette…
Ah oui, oui, oui ! J’ai un tropisme terrible ! Mais dans la vie aussi, dès que je vois un bateau… En venant, j’ai regardé les bateaux — c’était des bateaux électriques. Je regarde tous les films de bateaux, tous les films de sous-marins, tous les film d’avions et tous les films de tracteurs. J’ai neuf kayaks et canoës. Parce j’emmène beaucoup de gens en bateau. Je suis quasiment un moniteur de canoë. Je n’ai pas de voilier : Liberté Oléron le raconte bien.
Il vous a pourtant fallu vingt ans depuis Liberté Oléron pour traiter frontalement d’un sujet “nautique”. Mais la principale différence, c’est qu’entretemps, vous êtes devenu comédien – et qu’ici, vous êtes en plus le seul maître à bord après Dieu…
Oui, c’est vrai (sourire) J’ai réabordé le truc de manière apaisée par rapport à Liberté Oléron. Là, c’était rigolo, parce que j’avais trois casquettes en même temps : je jouais, je réalisais, et je dirigeais vraiment le bateau. Et c’était vachement bien ; j’ai beaucoup aimé. J’avais un retour vidéo dans le tableau de bord et je mettais moi-même le bateau dans le plan. J’étais complètement souverain. L’équipe m’appelait “mon capitaine”, j’était complètement dans le rôle, tous les matins, en blanc c’était rigolo… J’’avais l’impression d’accueillir l’équipe sur le bateau de manière apaisée, d’assumer… Au moment où Daniel Auteuil me dit : « on ne peut pas aller plus vite ? », je me sentais un peu le capitaine de croisière.
Vous sentez-vous vraiment dépossédé quand il prend les commandes ?
Non non, il ne faut pas exagérer ! Mais le fait de diriger un bateau et le film, je n’ai aucun trac d’acteur parce que pour moi, jouer arrive après tout le reste. Je n’investis rien… Quand il m’arrive de jouer chez les autres, j’ai un trac fou. Mais chez moi, j’ai l’impression de mettre les pieds sous la table : tous les problèmes sont résolus…C’est le seul endroit où je n’ai pas le trac comme acteur. Où le réalisateur qui me regarde s’en fout un peu — je ne me regarde pas : je ne vais pas voir les prises avec moi. Parce que je sais que je pourrais garder la meilleure : je serai au montage. L’enjeu, c’est les autres. Moi, je peux refaire une prise si je veux. Je regarde les autres, en fait : on voit si ça va dans le regard des autres.
Dans vos films, il y a toujours beaucoup de bricolages, d’inventions de structures…
J’aime bien les objets (il désigne le micro) ; je trouve que cet objet-là est beau, avec les micros croisés comme ça. J’ai un intérêt pour les objets réels, tout ce qui est chiné… Quand on fait un film, je n’ai pas envie de voir le truc usuel, normal… Là, il me fallait un truc pour recueillir le pourboire : comme une pince, rétractable… Un gars me l’a construite, ça “clappe” comme les pièges à souris, c’est plus rigolo qu’un truc normal. Étant enfant, j’ai fabriqué des trucs en Mecano ou en Lego. Denis, lui, n’est pas du tout bricoleur.
La glaviole sur laquelle Daniel Auteuil trébuche est-elle la même depuis Liberté Oléron ?
Toujours la même ! Vous êtes un habitué, vous (rires) !
Vous faites aussi appel au talent de peintre de Jean-Noël Brouté, en exposant ses toiles…
C’est chouette parce qu’il en a fait une quinzaine pour le film. Je lui avais demandé de faire un chevreuil qui ressemble à une vache et il l’a fait ! Mais il peint bien mieux que ça…
Au début du film, vous présentez vos personnages endettés les uns envers les autres…
Oui, c’était important. J’ai appelé ça “la chaîne des endettés”. Chacun à des choses à rembourser aux autres. C’était un moyen rigolo de les présenter, pour éviter de faire la bande de copains d’école, le truc un peu fastoche… Ce qui crée le lien entre eux, c’est qu’ils se doivent de l’argent. C’est un truc d’amitié : on ne prête pas à n’importe qui et ils sont tous redevables les uns les autres. Ça va forcément cimenter l’équipe parce qu’ils sont tous enferrés dans leurs histoires sur un truc pas gagné au départ.
On peut faire des très belles choses avec des moteurs pas très élégants. J’essaie de dire ça parfois à des enfants : pour de l’argent, on peut faire un très bon filme et parfois, on est pétri de bons sentiments et faire une saloperie dans la vie. En les réunissant tous comme ça pour une arnaque, tout ce qui arrivera au nom de l’amitié et du partage sera quelque chose d’un peu noble..
Il est d’ailleurs beaucoup question d’argent dans ce film…
J’essaie de ne pas avoir de morale (rires). J’aime au cinéma quand on parle d’argent, parce que tout le monde écoute toujours. C’est très concret, l’argent ; on peut évoquer plein de choses, ça donne une vision très lucide des choses… Étant jeune, on dit que ça dénature les choses, que ça les rend moins poétiques ; au cinéma, on est tout le temps à compter tout, parce que tout est très cher. Dans tout le film, l’argent est partout et c’est trivial. Au cinéma, on ne fait que parler d’argent et après on essaie d’oublier combien un film a coûté. C’est un terreau, c’est un trait de comédie qui n’est pas très commun les histoires d’argent alors que souvent que c’est hyper cruel, hyper réaliste.
Comment avez-vous opéré le choix des chansons du film, notamment Elle était si jolie d’Alain Barrière ?
C’est une très belle chanson, qui vieillit très bien — qui ne vieillit pas, d’ailleurs. Une chanson que ma mère aimait beaucoup, que j’ai beaucoup entendu à la maison. Sandrine Kiberlain l’adore aussi, Daniel aussi… Elle réunissait tout le monde. C’est un tube. J’aime bien l’idée des tubes à la radio. Ça se perd un perd un peu, maintenant : c’est très parcellaire. Par les réseaux, on n’écoute que notre algorithme à nous. Alors qu’il y avait des chansons que différents milieux sociaux, culturels ou géographiques, mais aussi générations, partageaient grâce à la radio. Je trouve que l’idée de chanson “trait d’union” est toujours valable.
J’aime aussi, c’est que c’était des paroles les plus simples possible. C’est pas si facile que ça, d’écrire des paroles très simples : « elles était si jolie/que je n’osais l’aimer » Les paroles de cette chanson sont très belles: elles apparaissent basiques. Mais il y a une espèce de complexité…
Et pourquoi entend-on l’Hymne à la joie ?
C’est l’hymne européen. Et moi, je suis un peu barré : je levais chaque matin les couleurs de l’Europe. Je n’ai pas d’explication… L’Hymne à la joie est par ailleurs un morceau que j’aime beaucoup. Je l’ai déjà mis dans un film auparavant. Le fait que ce soit à L’Hymne à la joie me paraissait pas mal pour notre époque.
Vous faites chanter faux vos comédiens…
Ils chantent super bien, en vrai. Et ça, c’est très dur de chante faux quand on chante bien. Ils m’ont terrassé parce qu’ils répétaient avant… et j’ai trouvé que c’était trop bien. Mais une fois que ça tournait…
Les comédiens apportent-ils beaucoup de choses au tournage ?
C’est très écrit, très appris. Il y a très peu d’impro. Ils apportent chacun leur style, leur jeu. Je ne peux pas dire que ce soit des idées de textes ; c’est plus comme un violoniste qui joue, dans l’interprétation.
L’amateur de bande dessinée que vous êtes fait-il des story-boards ?
Pas de storyboard : si le film est dessiné, je n’ai plus envie de le réaliser. Ça me tue le désir. J’adore le matin. Les matins de chaque journée de tournage, j’ai fait un découpage avant ; j’adore quand le plan advient… de lui-même. Plutôt que si j’ai un dessin qui dit : « on va faire comme ça, avec l’épaule, avec des mains, un cadré, l’avant-plan » Je comprends ça quand il y a des trucages, des effets spéciaux. Il faut décider. Mais moi, je n’en ai pas besoin.
La Petite Vadrouille sort un an pile après Wahou ! Avez-vous déjà entamé un autre projet ?
J’ai plusieurs projets, mais je ne sais pas lequel que je fais. Je n’ai pas écrit, par contre. J’attends l’envie. Wahou !, c’était un cas particulier. C’est vraiment un mois d’écriture, un mois de prépa, un mois de de tournage. Je l’ai fait un peu trop vite. Là, je fais toutes les rencontres avec les exploitants. Et je suis très content : à chaque fois, je veux faire un débat. Si on défend le climat d’auteur, si on défend l’art et essai, il faut aller sur toutes les places.
La Petite Vadrouille de & avec Bruno Podalydès (Fr, 1h36) avec également Daniel Auteuil, Sandrine Kiberlain, Denis Podalydès, Isabelle Candelier… en salle le 5 juin 2024.