Avant d’être relai de la flamme à Montpellier pour les Jeux Paralympiques, Artus est à l’affiche comme interprète et réalisateur de son premier long métrage, “Un p’tit truc en plus”, dans lequel il campe un braqueur tentant de se planquer dans une colo pour personnes en situation de handicap. Conversation aux Rencontres du cinéma de Gérardmer.
Avez-vous eu des difficultés pour trouver le ton juste permettant d’être dans la comédie tout en gardant un esprit corrosif ?
Artus : Je pense que ça s’est fait naturellement parce que c’est mon ton. Si je me pète la gueule là, les gens vont rire et je ne vais pas leur en vouloir : ce sera de la moquerie. C’est le rire vicieux qui est malsain, le côté « on va rire tous les deux de vous en messe basse ». Pas si je fais une vanne ouverte qui fait rire tout le monde et que la personne la prend bien….
Avec votre chef-opérateur Jean-Marie Dreujou, vous avez choisi un traitement de l’image particulier : les couleurs sont très contrastées, chaudes…
À un moment, il y avait un côté un peu plus sombre mais je voulais garder un côté lumineux. Le handicap, j’ai l’impression, est toujours filmé dans le nord, sous la pluie… Il y a toujours ce truc à rajouter au handicap : « en plus, ils vivent dans une région où il fait un temps de merde ! » J’avais envie d’un film joyeux, solaire ; de filmer au soleil, quand il fait beau, d’avoir ce sentiment de chaleur. En fait, j’avais envie qu’on soit bien avec eux, qu’on ait envie d’être là-bas, dans cette colo.
Et donner envie d’être éducateur également ?
C’’est un métier qui malheureusement n’est pas du tout valorisé, pas du tout assez bien payé. En France l’accueil des personnes en situation de handicap, est scandaleux. On est en retard sur plein de sujets. Je ne le traite pas dans le film parce que c’est un sujet à part entière. On explique un peu les problèmes de budget — ils mettent tout le budget de l’année dans la colo. Des sujets autour du handicap, autour des éducs, il y en a dix mille : comme le sujet de la sexualité autour du handicap, c’est un gros tabou en France.
Vos personnages sont-ils “taillés sur mesure” pour vos interprètes ? Ils ont en tout cas quasiment tous leur vrai prénom à l’écran…
Il n’y en a que deux pour qui on a changé les prénoms, déjà, parce qu’ils l’ont souhaité. Stanislas, qui joue Alexandre, parce qu’il avait besoin de se mettre dans un personnage ; et Théophile — qui s’appelle Baptiste dans le film — qui est passionné par les instruments de musique. Il avait envie lui aussi qu’on lui crée autre chose. Du coup, j’ai pris le foot, parce que, le “rachat” du rôle de père que joue Clovis Cornillac se fait avec Baptiste.
C’est une compétence propre de Clovis Cornillac que vous avez utilisée, en l’occurrence…
Non, parce que si Clovis avait détesté le foot, il aurait quand même fait du foot (sourire) J’ai pris le foot parce que, vraiment, c’est le sport le plus populaire, le plus connu… Tout papa a joué au foot avec son fils un jour. C’est vraiment pour qu’on ait ce code clair.
La bande originale est largement imprégnée par la musique de Dalida, qui est réellement liée à l’un des personnages… et surtout au comédien qui l’interprète, Arnaud Toupense…
En fait, je ne savais pas ce que j’allais mettre comme musique. Au moment du montage, je me suis dit, « essayons des morceaux de Dalida ». Et j’ai trouvé que ça marchait très bien. Déjà, elle a fait de tout : la musique de joie au début, Bikini, qui apporte un truc très vacances, le soleil. Après, il y a des dimensions un peu mélancoliques. Par exemple, Love in Portofino qui, pour moi, est jolie parce qu’elle est mélancolique, douce, mais pas triste. Je ne voulais pas aller tirer la larme. Pour la tirer, on met un solo de piano, tu as tout le monde qui chiale. Je ne voulais pas aller dans ce truc-là.
Au début, j’avais mis une reprise qu’Ibrahim Maalouf a faite au piano avec la voix d’Izïa qui est juste splendide. Et pour le coup, je trouve que c’était trop… Murray Head avec Say It Ain’t So à la fin : c’est ce bon truc, quand ça remonte à la fin, il y a un côté : la vie continue, la vie est belle, on ne reste pas sur un truc miné.
Murray Head et Dalida sont des interprètes navigant entre deux pays, deux mondes, était-ce lié au fait que vos comédiens sont aussi entre deux univers ?
C’était vraiment pour chercher les musiques qui correspondaient. Je voulais vraiment la musique qui amenait la bonne énergie. C’est marrant, mais Murray Head est venu très tôt. Say It Ain’t So, je le connais depuis toujours et comme beaucoup de gens, malheureusement je l’avais un peu oublié parce qu’on ne l’entend pas beaucoup. Un jour, elle est passée dans mes écouteurs et il y a eu une évidence. Elle a ce moment de calme très beau avant de repartir.
Pourquoi avoir choisi Alice Belaïdi dans le rôle de l’éducatrice ?
Parce que j’avais déjà tourné avec elle dans Budapest — je n’avais eu que deux jours de tournage, à l’époque. Et je trouve qu’elle avait ce côté simple. En fait, on y croit, Alice, c’est une éduc’. Dès le début du film, il n’y a aucun doute. Je ne voulais pas une comédienne trop comédienne, je voulais une comédienne aussi capable de s’en foutre de son make-up. Avec Alice, ce petit bout de bonne femme qui gère cette colo, dès le départ, on n’a aucun doute.
Est-ce en référence à votre formation de cuisinier que vous vous attaquez à la malbouffe de la restauration collective ?
Mais j’aime bien le personnage de la cuisinière parce qu’elle a un rapport sain avec eux : elle les traite comme tout le monde. Elle traite tout le monde, comme de la merde (sourire) Au finale, c’est elle qui a le rapport le plus normal avec tous.
Comment avez-vous appréhendé l’après tournage avec vos comédiens non professionnels ?
C’était ma grande crainte pendant tout le film, parce que c’était tellement fort — et en plus pour eux, c’est un premier film. Ils ont eu 35 jours de tournage, c’était vraiment un film-chorale : tout le monde a eu autant de jours, Donc c’est sûr que derrière, quand on rentre dans un IME ou dans un endroit spécialisé qui est rarement ce qui se fait plus chaleureux et de plus agréable, il y avait une appréhension. Mais globalement, ça s’est bien passé, parce qu’en fait, ils sont rentrés avec tellement de choses à raconter. Et puis c’est marrant, chacun est un peu devenu la star dans son IME.
Au moment où nous parlons, début avril, vos comédiens ont-ils déjà vu le film ?
Alors, pas tous. J’ai bientôt la projo d’équipe où toute l’équipe va le voir ; je pense que ça va être très chargé en émotion. Je l’ai montré tôt à Soso parce qu’il y a malheureusement cette réalité…, C’est pour ça que j’ai fait le film vite et qu’il sort moins d’un an après l’arrêt du tournage : on a terminé en septembre, et il sort là parce que je voulais qu’il sorte vite pour qu’il puisse se voir. Soso, j’essaie de lui mettre des petits défis, des stimulants. Il est venu sur la tournée [du spectacle] avec moi dans le tourbus,
Le but de ce film — c’est pour ça que j’aimerais qu’il marche — c’est qu’il permette qu’on leur donne aussi des rôles de “pas-handicapés”. Quand on a un petit rôle d’un boulanger ou d’un mec qui est dans un bus pourquoi ce rôle-là ne peut pas être pour un acteur porteur de trisomie ?
Vous êtes vous occupé de l’audio-description et tout ce qui va permettre de faciliter la diffusion du film ?
C’est compliqué parce que je ne le saurais pas. Apparemment, l’audio-description s’est bien passée justement, parce que la personne qui l’a gérée a dit : « au début, ça va un peu vite, on a un peu du mal à décrire tous les personnages » — il y a quand même beaucoup de personnages — « mais après, ça marche très bien » donc je suis très content.
Un p’tit truc en plus de & avec Artus (Fr., 1h39) avec également Clovis Cornillac, Alice Belaïdi… en salle le 1er mai 2024.