Sur les écrans, une famille cherche à renouer sur les traces de son passé et une jeune femme atteinte d’hirsutisme à se faire accepter par son mari. Entre autres…
Nous, les Leroy de Florent Bernard
Sandrine et Christophe se sont connus jeunes adultes, se sont aimés, ont eu deux enfants, désormais grands ados. Mais le quotidien a broyé la passion des débuts et Sandrine ne peut que constater que le couple Leroy est arrivé au bout du chemin. Assommé par la nouvelle, Christophe décide d’embarquer son petit monde pour un week-end de la dernière chance, remontant l’histoire familiale dans l’espoir de redonner une chance à son couple. Évidemment, rien ne se déroulera comme dans ses rêves…
On évoquait la semaine dernière avec Et plus si affinités le palmarès de l’Alpe d’Huez, poursuivons avec le film qui en a reçu le Grand Prix. Et (bonne) surprise : ce premier long métrage de “FloBer“ tient davantage de la dramédie à l’américaine que de la “comédie familiale” comme Christian Clavier en a tourné des wagons. L’ouverture présente quelques ressemblance avec le prologue de Là-haut racontant une vie à deux en accéléré ; quant à la trame globale — l’équipée plus sauvage qu’apaisée d’une famille se retrouvant (ou pas) par la grâce d’une cohabitation forcée dans un véhicule motorisé —, elle n’est pas sans rappeler Little Miss Sunshine.
Leroy des détails
Assumant plutôt bien sa mélodie dominante douce-amère, Nous, les Leroy ne se prive pas d’harmoniques cocasses ou burlesques. Florent Bernard ménage en effet au fil de ce road movie des étapes façons sketches au cours desquelles il offre à ses camarades de jeu de Golden Moustache (et alliés) des séquences taillées sur mesure. Une manière d’assurer le fan service, en évitant toutefois l’empilement systématique de gags : chaque invité/univers s’insère dans le récit sans pour autant le cannibaliser. Au finale, c’est bien la trajectoire des Leroy (et surtout de Sandrine) qui prime. De même que le délabrement de la voiture progresse avec celui du couple, les canettes que cette mère au bout du rouleau décapsule renseignent sur son état intérieur… et sa sérénité en berne.
C’est d’ailleurs dans ces petits détails (en apparence anodins) émaillant le scénario que FloBer se révèle le plus intéressant. Certes, on le sait polyvalent depuis Vermines, mais son talent à meubler des à-côtés qui n’en sont pas est ici manifeste. Ainsi les personnages des ados ont-ils droit à une épaisseur et une profondeur au-delà des clichés du genre et sont offerts à des interprètes prometteurs. Seul bémol : la silhouette du grand-père, interprété par Luis Rego, apparaît un peu trop elliptique au regard de son importance. Si une version outre-Atlantique était mise en chantier, il y a des chances que le rôle soit étoffé.
Nous, les Leroy de Florent Bernard (Fr., 1h43) avec Charlotte Gainsbourg, José Garcia, Lily Aubry… En salle le 10 avril 2024
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Rosalie de Stéphanie Di Giusto
Blessé de guerre et perclus de dettes, Abel tient un café en déshérence dans un petit village de France de la fin du XIXe siècle. Afin de sauver son affaire, il épouse pour sa dot Rosalie, sans la connaître. Au lendemain des noces, Abel découvre qu’elle est atteinte d’hirsutisme et doit se raser tous les jours pour ne pas être recouverte de poils. Révulsé, il songe à la chasser mais s’accommode peu à peu de sa présence. Car Rosalie a du bagou et un talent pour faire venir le client. Trop pour l’époque, sans doute…
On se demande bien pourquoi Stéphanie Di Giusto n’a pas souhaité adapter frontalement l’histoire authentique de Clémentine Delait — dont Pénélope Bagieu avait par ailleurs dressé le portrait dans Culottées. Par volonté d’aller plus loin dans le romanesque ou d’ajouter une touche d’universalité ? À ce compte-là, pourquoi décaler si peu l’époque, translater uniquement les lieux et surtout étoffer davantage le personnage du mari ? Clémentine ne gagne pas grand chose à “devenir” Rosalie si l’on considère le film qui en résulte, d’un confondant naturalisme académique. L’oxymore, absurde, s’avère somme toute assez comparable à l’activité de complément exercée par Abel : la taxidermie, art paradoxal consistant à donner à des dépouilles animales l’apparence de la vie.
La barbe !
Il n’y a pourtant pas de fatalité à muséifier le passé : Stéphane Brizé, dans Une vie, était bien parvenu à conserver la même urgence et la même sensation de vérité directe que dans ses intrigues contemporaines. De même qu’il n’y a pas d’obligation à construire ses intrigues de façon aussi scolaire, avec des actes et des crises prévisibles (le village accepte la femme à barbe/le village se retourne contre la femme à barbe etc.) Enfin, est-il inscrit quelque part qu’il faille surdramatiser la fin (en lorgnant La Forme de l’eau au passage) pour donner une apparence de vague conte gothique à cette histoire — dont l’issue fut pourtant plus heureuse dans la réalité ?
On peut toutefois trouver un aspect positif à ce film : celui d’offrir à Benoît Magimel un rôle pivot. Avec Abel, le comédien devient résolument un personnage de quinquagénaire charpenté, à l’instar du Gabin deuxième période de Touchez pas au grisbi. Il y a un renoncement physique à la jeunesse et une acceptation de la maturité qui transparaissent ici dans sa silhouette et son jeu, alors qu’ils étaient jusqu’alors retenus à distance. Le temps fait son affaire…
Rosalie de Stéphanie Di Giusto (Fr, 1h55) avec Nadia Tereszkiewicz, Benoît Magimel, Benjamin Biolay…En salle le 10 avril 2024