Une bête de scène, un mort sur scène et sa compagnie ainsi que des bêtes de compagnie se croisent cette semaine au cinéma. Entre autres…
Bob Marley : One Love de Reinaldo Marcus Green
1976. Star de la musique reggae dans une Jamaïque déchirée par les rivalités politique, Bob Marley est victime d’un attentat chez lui manquant coûter la vie à son épouse Rita. En compagnie de son groupe The Wailers, il s’exile alors à Londres. Cette mise à l’écart aura pour effet de lui inspirer la composition de l’album qui le transformera en star planétaire, Exodus…
On sait toujours gré aux films racontant les illustres de se focaliser sur un aspect particulier de leur existence. De privilégier un angle, une période, plutôt que prétendre condenser une vie en deux heures. Parce que la restriction implique une approche réfléchie du sujet et évite par conséquent les constructions biographiques bateau, emplies de séquences superfétatoires. Centré sur la parenthèse 1976-1978 (épargnant donc à la fois ses débuts — même si’l y a des flashbacks — et sa mort — même s’il y a les signes avant-coureurs de sa maladie), le biopic de Reinaldo Marcus Green respecte son intention. Il s’attache donc à dépeindre le contexte sans lequel les textes (devenus des hits puis des classiques) n’auraient pas vu le jour — décorréler la musique de cet ancrage eût été un contresens absolu. Il met également en scène la fabrication, au sens artisanal du terme, de quelques titres — dont Exodus, issu d’un bœuf massif.
En avoir ou pas
L’idée ressort que Marley a su cristalliser dans son œuvre les maux de son époque, à l’instar d’un Dylan. Devenu par la musique le héraut du rastafarisme, il en a transcendé les frontières pour tendre à une forme d’universalité post-mortem. Grand était donc le risque que le film le sanctifie sous des litres de tubes — la famille, aux commandes, n’ayant que peu intérêt à écorner la “légende”. Si l’on soupçonne quelques artefacts de production destinés à humaniser l’artiste — une “séquence #MeToo“ où il chapitre son épouse à propos d’une liaison extra-conjugale… mais où celle-ci le renvoie à ses nombreuses infidélité ; les insistantes évocations de Ziggy (coproducteur du film) —, ce qui permet de donner de la chair à ce Marley, c’est son interprète. Loin d’être un clone, Kingsley Ben-Adir effectue une composition d’autant plus appréciable qu’elle repose sur une compréhension du personnage plus que sur le mimétisme.
On pourrait parler d’incarnation, tant l’idée d’habiter un corps se révèle ici signifiante : corps du quotidien dans la décontraction affichée, corps sportif dans la discipline du foot ou du jogging ; corps spectaculaire dans la transe exutoire de la scène… Kingsley Ben-Adir convainc de la non-nécessité d’être en tout point identique au modèle ; qu’en esquisser une silhouette ou les contour suffit… à condition d’avoir du talent. Et il en a.
Bob Marley : One Love de Reinaldo Marcus Green (É.-U., 1h47) avec Kingsley Ben-Adir, Lashana Lynch, James Norton… en salle le 14 février 2024
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Le Molière imaginaire de Olivier Py
Le 17 février 1673. Alors que Molière, malade, s’apprête à fouler la scène du théâtre du Palais-Royal pour la dernière fois, songes et réalité se livrent une étrange bataille en coulisses. Amis et amants le dissuadent de jouer ; d’abjurer son métier pour pouvoir être enterré en chrétien si le pire survenait. Mais le spectacle doit continue et il se poursuivra jusqu’à son terme…
Adieux, puissance deux. En consacrant un film au trépas de l’un de ses saints-patrons, Olivier Py (homme de scène qu’il est inutile de présenter) voulait-il également marquer symboliquement son départ de la direction du plus important festival de théâtre au monde — Avignon, qu’il a quitté en 2022 ? Boucler un chapitre avant d’en entamer d’autres ? Tourné précisément à Avignon, dans l’enceinte de la FabricA, son Molière imaginaire semble surtout lui permette de mettre en images une thèse émergeant depuis une dizaine d’années — et la pièce de Jean-Marie Besset Le Banquet d’Auteuil — postulant que Molière était bisexuel et avait pour amant le jeune Michel Baron, membre de sa troupe. En découlent des scènes homo-érotiques de bain et d’étreinte avec ledit-Baron, qui tiennent davantage de l’imaginaire péplum kitsch que des prémices d’une agonie dans l’ambiance brinquebalante d’un théâtre en surchauffe.
Scène de mort
Si Molière semble ici osciller entre deux mondes (la scène/la ville ; la vie/la mort), Py n’est guère mieux loti, qui paraît n’avoir pas décidé entre le théâtre et le 7e Art. De longs plans-séquences virtuoses témoignent d’une volonté d’embrasser “le moment” d’un seul tenant (ou presque) ; le travail sur la lumière et les clairs-obscurs donnent à quelques spectatrices des visages dignes des Peintures noires de Goya — Dominique Frot, Judith Madre et la regrettée Catherine Lachens forment un trio de Parques assez effrayant. Mais en contrepartie, l’oreille est harassée par les dictions de certains interprètes se croyant sur le plateau malgré les caméras — Jean-Damien Bardin, pour ne pas le citer. Le résultat, hétérogène, n’est pas à la hauteur de ce qu’il eût pu être.
Le Molière imaginaire de Olivier Py (Fr., 1h34) avec Laurent Lafitte, Stacy Martin, Bertrand de Roffignac… en salle le 14 février 2024
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Chien et Chat de Reem Kherici
Une influenceuse et un cambrioleur simulant la cécité se voient forcés de faire équipe entre Montréal et New York afin de retrouver leurs animaux de compagnie partis ensemble — Diva (une Maine coon snobinarde) et Chichi (un chien errant) possèdent en effet une valeur qu’ils ne soupçonnent pas. Un policier étrangement hargneux à leurs trousses achève de rendre le voyage périlleux…
Il se confirme que la génération d’acteurs hexagonaux ayant grandi dans les années 1980-1990 ne craint plus de payer son tribut au popcorn movie hollywoodien de son enfance. Après (le loin d’être raté) Jack Mimoun et les secrets de Val Verde de Malik Bentalha voici donc (le pas si mal) Chien et Chat de Reem Kherici. Taillée pour le jeune public et sortant justement à l’occasion des vacances, cette comédie joue sur plusieurs tableaux : un double buddy movie en suivant en parallèle les péripéties du duo humain et celles de la paire animale — et en offrant des variations sur le thème des contraires qui se repoussent avant de s’attirer à leur manière. Sans vraiment basculer dans la comédie sentimentale : la barrière des espèces est respectée entre Diva et Chichi ; quant à leurs “maîtres”, un joli faux-semblant final laisse la possibilité d’une suite.
Les bêtes et le bête
Elle mise aussi sur le côté “Roger Rabbit”, en intégrant ses animaux virtuels dans un film en prises de vues réelles — le rendu s’avère conforme à ce que l’on peut espérer. Enfin, Chien et Chat emprunte son méchant (campé par un Philippe Lacheau osant autre chose que la mimique de l’ahuri-gentil) au registre de l’indécrottable méchant loser tel qu’on se l’imagine depuis Maman j’ai raté l’avion. Et là encore, ça fonctionne plutôt bien. S’il ne ménage guère de surprises, ce film se découvre en tout cas sans déplaisir. A fortiori lorsque l’on a l’âge cible,
Chien et Chat de & avec Reem Kherici (Fr., 1h26) avec également Franck Dubosc, Philippe Lacheau et les voix de Inès Red et Artus… en salle le 14 février 2024