Premier lauréat de la collaboration entre l’Abbaye royale de Fontevraud et la Fondation Bullukian, le peintre Yann Lacroix présente sous le titre d’Imago le fruit de quatre mois de résidence dans la « Villa Médicis des bords de Loire » — ainsi que la définit plaisamment Emmanuel Morin, son directeur artistique. Un voyage serein dans le temps et la mémoire…
Un esprit facétieux s’amuserait de cette coïncidence aptonymique qui aura fait de Yann Lacroix “l’Élu“ de l’Abbaye de Fontevraud. Comprenez, son premier hôte dans le cadre de la résidence lancée par la cité monastique en partenariat avec la Fondation Bullukian. Hasard ou prédestination, le choix du plasticien clermontois s’accorde à merveille avec le gigantisme du domaine : 22 hectares de nature et d’une architecture composite allant du XIIe au XVIIIe siècle. Un site empreint d’Histoire, faisant écho à ses plus anciennes inspirations.
S’il réside aujourd’hui à Paris, Lacroix évoque en effet volontiers l’influence sur son travail de la géographie auvergnate de son enfance ; ces paysages où coexistent, au gré des accidents et des affleurements, les vestiges de différents étages géologiques, consécutifs ou non. Durant ses quatre mois à Fontevraud, l’artiste a pu ainsi “habiter” les lieux et “donner du temps” à sa peinture. Pour être exact, on devrait dire que ses peintures ont capturé le temps pour en restituer les inflexions, les nuances, les variations. Présent de la fin de l’été au début de l’hiver, Lacroix était aux premières loges face aux mutations du paysage, de sa gloire à sa dormance.
Strates et palimpsestes
Toutefois, l’ensemble qu’il expose à la Fondation Bullukian (et qui sera “rapatrié“ cet l’été à l’Abbaye) ne saurait s’apparenter à un éphéméride : au désir de figer un état ou un instant t, Yann Lacroix préfère une évocation plus complexe du temps en donnant à en percevoir le cours dans sa profondeur, sa persistance ou son évanescence. Aussi joue-t-il sur l’idée et la technique de la surimpression, créant ses compositions à partir de motifs botaniques et/ou architecturaux juxtaposés puis, pour certains, partiellement effacés.
Laissant volontairement des zones floues ou partiellement estompées dans leurs périphéries (certains petits formats rappellent les tirages de fin de pellicule argentique aux dégradés surnaturels), les œuvres apparaissent comme des cristallisations de souvenirs, hybridant plusieurs moments en un objet visuel unique. Comme si le peintre s’était fait géologue et avait carotté la mémoire du lieu, puis assemblé les strates à sa manière sur sa toile-palimpseste — voir ses immenses Lugdunum et Sans titre, ce dernier illuminé par de verdoyantes plantes tropicales.
Yann Lacroix dévoile en sus une exploration de sa propre temporalité, ses œuvres conservant bien visibles des traces de leur conception… quand elles ne sont pas volontairement en partie inachevées. C’est alors le processus artistique, lui aussi résultant d’étapes et de couches méthodiques, qui se fait jour. D’ajouts et de repentirs peut-être, mais surtout de patience et de maturation. Le temps d’exécution révélé, en écho au temps agrégé dans le cadre ; un temps d’éternité suspendu et offert à la contemplation…
Yann Lacroix : Imago – jusqu’au 13 avril à la Fondation Bullukian – 26 place Bellecour – 69002 Lyon – www.bullukian.com – 04 72 52 93 34 – Entrée libre – Rencontre avec l’artiste samedi 9 mars de 14 à 18h.