<<Retour en 2014<<Pour L’Enfance de l’art, Guillaume Long invente l’école de muséographie freudienne appliquée — une manière subtile et cocasse de nous dévoiler son panthéon artistique…
Guillaume Long ne fait pas que passer son temps à explorer les mille et une merveilles de la mangeaille ou à alimenter son blog installé à une table du Kitchen Café. Dans le secret de son âme, l’illustrateur nourrit une passion dévorante pour l’art. Et comme son sens du partage n’a d’égal que son érudition éclectique, il nous convie à pénétrer dans son musée imaginaire — un joli petit volume quasi carré — où il n’expose pas d’œuvre. Enfin, pas directement : dans une démarche très freudienne (mouais, enfin disons Freud époque viennoiseries, alors), Guillaume Long s’intéresse à la genèse de l’œuvre (“œuvre” compris en tant qu’ensemble des réalisations) d’un artiste. Il imagine quel a pu être, dans la petite enfance des peintres, sculpteurs ou plasticiens, le facteur déclencheur, l’instant décisif qui a conditionné leur style ou leurs recherches. Oui, il imagine, car sa lecture se veut décalée, volontairement anachronique et humoristique. Ce qui ne l’empêche pas de se révéler d’une redoutable pertinence.
Qui suis-je ?

Plutôt que de professer (il y a des théories d’universitaires bien en chaire ravis de faire cela), Long choisit d’évoquer et sur un mode ludique : seuls les prénoms des artistes-enfants sont indiqués dans les brèves légendes accompagnant ses illustrations, ce qui a pour effet de transformer chaque portrait en devinette. La démarche n’en est pas moins pédagogique ! Parfois l’on découvre d’intéressants — et authentiques — détails biographiques, parfois c’est l’état civil intégral qui surprend — vous le saviez, vous, que Hokusai se prénommait Katsushika ? Et dans certains cas, ce sont même des créateurs qu’il nous fait connaître.
Quant aux portraits, ils ne répondent à aucune règle systématique : l’épisode raconté peut flirter avec le premier degré (Calder bébé sous un mobile, Soulages enfant descendant à la cave), être tissé de références à l’univers de l’artiste représenté (Rothko, splendide)… Comme faire allusion avec malice à des ambiances connexes. C’est ainsi que l’on peut voir le jeune Victor (Vasarely) s’amuser sur une moquette dont les motifs non seulement rappellent furieusement les siens, mais ceux de l’hôtel de Shining, créant un écho troublant avec le contenu de ce film de Kubrick traversé par la suggestion médiumnique, la répétition des événements et le paradoxe temporel… Brillante mise en abyme.
On se prend à espérer un tome deux, car le sujet s’avère inépuisable. Mais Guillaume Long annonce en dernière page un autre projet, également prometteur : L’Enfance du neuvième art. Va-t-il se pencher sur le cas de ses consœurs et confrères de la BD ? En fait, il s’agit d’une coquille : ce sera le 7e Art, le cinéma, qui bénéficiera de son attention soutenue. Peut-être que ce lapsus calami révèle des desseins ultérieurs… Tonton Sigmund est partout !

Guilaume Long, L’Enfance de l’art, Ici même, 106 p., (30 minutes de lecture), 12,50€